La pluie: faut-il prier pour qu’elle tombe ou pour qu’elle cesse?

Chaque hiver, le même rituel se répète, immuable, presque sacré. Quand la sécheresse s’installe, quand les barrages tirent la langue et que la terre se craquelle, on lève les yeux au ciel. On prie ardemment pour que les pluies hivernales tombent pour qu’elles sauvent les récoltes, remplissent les nappes et redonnent vie aux paysages fatigués. La pluie est alors attendue comme une bénédiction. Mais à peine arrive-t-elle que la prière change de ton: pourvu qu’elle ne soit pas trop forte. Car ici, la pluie n’est jamais simplement la pluie. Elle est aussitôt synonyme de chaos annoncé. Les premières averses suffisent à révéler un scénario bien rodé, répété chaque année avec une régularité implacable. Inondations soudaines, routes coupées, oueds débordants, quartiers transformés en piscines improvisées, automobilistes piégés, habitants évacués à la hâte. Les images se ressemblent, les titres aussi. Seules les dates changent. Les dégâts, eux, sont bien réels. Plus grave parfois, des victimes emportées par les eaux, des routes impraticables, des habitations menacées, parfois détruites. Et toujours la même question qui revient, lancinante : comment quelques heures de pluie peuvent-elles paralyser des villes entières ? La réponse, elle aussi, est connue de tous, répétée à l’infini, comme un refrain usé. Manque d’entretien des canaux d’évacuation. Avaloirs bouchés par des déchets accumulés depuis des mois, voire des années. Ouvrages hydrauliques sous dimensionnés ou tout simplement oubliés. Urbanisation anarchique, constructions tolérées là où l’eau a toujours circulé. Rien de nouveau sous les nuages. Chaque année, experts et responsables se succèdent pour rappeler les causes, pointer les défaillances, promettre des solutions. Les mêmes constats, les mêmes discours, les mêmes promesses de « plans d’urgence » et de «mesures imminentes». Des spectacles juste bons pour la télé, mais horripilants pour les nerfs car les gens ont l’impression qu’on se moque d’eux en les gavant d’images de comédie déjà vues à travers les écrans. Et puis, le ciel se dégage, l’eau se retire, l’émotion retombe. Et avec elle, toute velléité d’agir. Car le vrai problème n’est pas la pluie. Elle fait ce qu’elle a toujours fait: tomber. Le vrai problème, c’est la négligence chronique, ce laxisme ravageur devenu presque institutionnel. Une mémoire collective étrangement courte, incapable de tirer la moindre leçon des drames passés. On colmate dans l’urgence, on répare à la va-vite, on nettoie pour la photo, puis on oublie. Résultat: l’année suivante, le même film recommence. Même décor, mêmes dégâts, mêmes indignations éphémères. Et toujours cette impression que rien ne bouge jamais, que jamais aucune mesure durable n’est réellement prise. Comme si l’on avait fini par accepter l’inacceptable, normaliser le désastre, considérer l’inondation comme une fatalité saisonnière. Ainsi va l’hiver: entre prières pour la pluie et prières pour qu’elle cesse. Et pendant ce temps, les avaloirs restent bouchés, les canaux abandonnés et les leçons, une fois encore, emportées par les eaux.


ads