A New Delhi, le deuxième Sommet mondial de l’OMS sur la médecine traditionnelle marque un tournant. Pendant plusieurs jours, ministres, scientifiques, praticiens et représentants des peuples autochtones ont débattu d’un enjeu longtemps marginalisé: comment faire entrer des savoirs millénaires dans l’ère de la preuve scientifique, de la régulation et de l’intelligence artificielle. La médecine traditionnelle, rappelle l’OMS, n’est pas un vestige du passé. Elle reste aujourd’hui la principale source de soins pour une large partie de l’humanité. Près de 90 % des États membres indiquent que 40 à 90 % de leur population y ont recours. Dans un monde où près de la moitié de la population n’a pas accès aux services de santé essentiels, elle constitue souvent l’offre la plus proche, parfois la seule. «La médecine traditionnelle n’appartient pas au passé; sa demande ne cesse de croître à travers les pays, les cultures et les communautés», insiste le Directeur Général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Mais l’enjeu central du Sommet est clair: intégrer ces pratiques dans les systèmes de santé modernes sans renoncer à l’exigence scientifique. «Nous devons appliquer la même rigueur à l’évaluation de la biomédecine et des médecines traditionnelles, tout en respectant la biodiversité, les spécificités culturelles et les principes éthiques», souligne la Dre Sylvie Briand, scientifique en chef de l’OMS. L’outil clé de cette ambition: les technologies de pointe. L’intelligence artificielle, la génomique ou l’analyse avancée des données peuvent cribler des millions de composés naturels, identifier des principes actifs et mieux comprendre l’efficacité – ou les limites – de remèdes ancestraux. L’OMS a profité du Sommet pour lancer la Bibliothèque mondiale de médecine traditionnelle, un répertoire inédit de plus de 1,6 million de documents scientifiques. Objectif: combler un paradoxe criant. Alors que 40 % des médicaments modernes dérivent de produits naturels, moins de 1% des financements mondiaux de la recherche en santé sont consacrés à la médecine traditionnelle. «La recherche est à un moment charnière», résume Shyama Kuruvilla, directrice du Centre mondial de médecine traditionnelle de l’OMS, pour qui il s’agit d’un impératif à la fois scientifique, éthique et environnemental. Dans les pays développés, ces débats résonnent déjà. En France, la phytothérapie et l’ethnopharmacologie connaissent un regain d’intérêt. Des hôpitaux, comme le CHU de Nice, expérimentent des protocoles à base de plantes pour réduire l’usage des antibiotiques. La pharmacopée européenne, régulièrement actualisée, encadre l’usage thérapeutique des plantes médicinales sur des bases scientifiques. Preuve que la frontière entre tradition et modernité n’est plus aussi étanche.



