Pendant que l’attention du monde se disperse ailleurs, le Soudan continue de s’enfoncer dans une violence méthodique, presque banalisée par l’oubli. Près de mille jours après le début de la guerre entre l’armée régulière et les Forces de soutien rapide (FSR), le pays incarne ce que l’ONU qualifie désormais de pire crise humanitaire au monde. Une tragédie à bas bruit, rythmée par les sièges, les famines et les frappes de drones. La mort, le 13 décembre, de six casques bleus bangladais, tués à Kadougli lors d’une attaque visant une base onusienne, a brièvement rappelé l’ampleur du chaos. «Les attaques contre les forces de maintien de la paix peuvent constituer des crimes de guerre», a dénoncé le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, qualifiant l’assaut d’«injustifiable» et appelant une nouvelle fois à un arrêt immédiat des hostilités. Sans illusion apparente. Kadougli, comme El-Fasher au Darfour, est devenue un symbole de l’asphyxie organisée. Assiégées, coupées du monde, ces villes abritent des dizaines de milliers de civils piégés. À El-Fasher, prise par les FSR après 500 jours de siège, «la ville ressemble à une scène de crime», décrit Ross Smith, responsable des urgences au Programme alimentaire mondial (PAM). Corps brûlés, marchés désertés, routes minées: ceux qui fuient, risquent leur vie ; ceux qui restent, meurent de faim. La famine est désormais confirmée dans plusieurs régions. Faute de financements, le PAM annonce une réduction drastique des rations alimentaires dès les prochains mois. «À partir d’avril, nous tomberons dans le vide», avertit Ross Smith. Le Soudan compte déjà plus de douze millions de déplacés, un record mondial. La guerre est aussi menée contre les corps des femmes. Un rapport de l’initiative SIHA documente une violence sexuelle massive, utilisée comme arme de guerre. Violées, enlevées, mariées de force, les femmes soudanaises paient un tribut silencieux, dans une impunité héritée des conflits passés. Face à l’impasse militaire, l’ONU tente de relancer une médiation. Des rencontres sont envisagées à Genève entre les deux camps. António Guterres parle d’un «scandale» et exhorte les États influents à stopper les flux d’armes. Mais sur le terrain, les lignes bougent au rythme des conquêtes, non des négociations. Dans ce pays brisé, les appels se répètent, les communiqués s’accumulent, tandis que la guerre continue, presque invisible. Le Soudan meurt loin des caméras et c’est peut-être là sa plus grande tragédie.



