L’Algérie vient de créer une commission nationale multisectorielle pour documenter les crimes environnementaux du colonialisme français et leurs conséquences durables. Présidée par la ministre de l’Environnement Kaouter Krikou et le ministre des Moudjahidine Tacherift, elle s’inscrit dans le projet « Mémoire environnementale coloniale », lancé après le colloque national du 3 novembre. L’objectif est de recenser les zones touchées par la terre brûlée, l’exploitation des sols, forêts et eaux, ainsi que les monocultures imposées par les colons. Kaouter Krikou a qualifié cette initiative de « pierre angulaire de la mémoire environnementale », rappelant que l’environnement est un « espace commun à la vie, à la sécurité et à la stabilité des peuples ». Les travaux de la commission s’appuieront sur des méthodes scientifiques rigoureuses pour créer une base de données précise sur les préjudices humains et écologiques, selon Karim Arab, directeur de l’ONEDD, et Hocine Abdessatar, directeur du CNERMN54. Un guide scientifique, intitulé Chahed (Témoin oculaire), sera également publié pour centraliser témoignages, recherches et analyses sur ces crimes environnementaux. L’importance de cette démarche se reflète dans les recherches historiques récentes. Reporterre rappelle que la colonisation française en Algérie n’a pas seulement spolié les terres et massacré les populations : elle a aussi détruit des écosystèmes entiers. Entre 1830 et 1917, plus de 1,2 million d’hectares ont été transférés aux colons, bouleversant l’agriculture locale et les pratiques collectives de gestion des ressources, selon Reporterre en mars 2025. Antonin Plarier, historien, explique que «c’était une pratique d’expropriation sans explication, sans excuse et avec une grande brutalité. Pour les Algériens, c’est un monde qui s’effondre littéralement». Déforestation, introduction de monocultures, plantations massives d’eucalyptus, chasses coloniales et accaparement des eaux ont provoqué des déséquilibres environnementaux majeurs, parfois encore visibles aujourd’hui. Hélène Blais, spécialiste de l’histoire environnementale, souligne que «l’État colonial a favorisé l’érosion des sols et l’extinction d’espèces locales», tandis qu’Alain Ruscio rappelle que «la totalité de l’écosystème algérien a été affectée par la colonisation». La démarche ouvre ainsi un nouveau chapitre dans l’étude des colonisations, où la mémoire environnementale rejoint la mémoire historique.



