L’Union européenne vient de franchir un cap historique: à partir du 1er janvier 2026, plus une molécule de gaz ou de pétrole russe ne devra franchir ses frontières. Fin de partie pour Moscou dont les exportations vers l’Europe ont déjà chuté de 45 % à 18% en quatre ans. Cette décision, hautement politique, consacre la rupture énergétique entre l’UE et son ancien fournisseur stratégique. Mais elle redistribue aussi, brutalement, les cartes d’un marché mondial déjà sous tension. L’objectif affiché est clair: tarir le financement de la guerre russe. Mais derrière la vertu politique se cache une réalité plus géoéconomique que morale. En coupant le robinet russe, l’Europe s’est branchée sur un autre — celui du gaz naturel liquéfié américain, importé à prix fort depuis 2022. Washington, devenu premier exportateur mondial, voit sa capacité de liquéfaction plus que doubler d’ici 2029, avec un objectif assumé: verrouiller le marché européen. Les terminaux GNL fleurissent du Texas à la Louisiane, tandis que les Européens financent, par leur dépendance nouvelle, une partie de cette expansion. Ce basculement n’est pas sans paradoxe: le gaz américain, plus cher et plus polluant, s’impose au nom de la liberté énergétique. Derrière la solidarité transatlantique, certains y voient une forme de vassalisation économique, l’Europe payant désormais sa sécurité énergétique en dollars plutôt qu’en roubles. Sur le terrain, les effets se font déjà sentir: la rupture du transit entre Naftogaz et Gazprom plonge l’Europe de l’Est dans une crise énergétique, tandis que les prix du gaz restent volatils autour de 32 €/MWh. Si les stocks européens demeurent solides, la fragilité structurelle du réseau demeure évidente. Un acteur tire pourtant son épingle du jeu: l’Algérie. Avec ses gazoducs vers l’Italie et l’Espagne et ses terminaux GNL d’Arzew et Skikda, Alger s’impose comme le nouveau pivot méditerranéen du gaz européen. Plus proche, moins carboné et politiquement neutre, le gaz algérien offre une alternative stratégique crédible — et plus verte — face au GNL américain. La transition énergétique européenne, promise depuis vingt ans, se joue désormais sur fond de rivalités géopolitiques. Derrière les discours sur l’autonomie stratégique, l’UE reste à la croisée des dépendances: entre la tentation du confort américain et l’espoir d’un Sud plus coopératif. Le gaz, décidément, n’a pas fini d’alimenter les tempêtes politiques du Vieux Continent.



