Afrique, carrefour du blé

Alors que le marché mondial des céréales se restructure sous l’effet de tensions géopolitiques et climatiques, l’Afrique devient un acteur central — mais fragile — de la nouvelle donne céréalière. En 2024-2025, les importations de blé sur le continent devraient atteindre un record de près de 56 millions de tonnes, selon les dernières estimations de la FAO, d’après Les Échos 2025. Cela fait de l’Afrique le deuxième importateur mondial de blé, juste derrière l’Asie. Cette hausse spectaculaire est particulièrement marquée en Afrique subsaharienne, où les importations devraient franchir pour la première fois le cap des 30 millions de tonnes. Ce phénomène s’explique par l’occidentalisation des habitudes alimentaires et l’urbanisation croissante, comme le souligne Jérémy Denieulle, expert en géopolitique du blé. Mais cette dépendance croissante masque un paradoxe. Si le blé s’impose dans les villes, il ne constitue encore qu’environ 15 à 20 % de l’alimentation importée du continent, relativise Abdoul Fattath Yaya Tapsora, de la fondation FARM. Le maïs, le manioc ou le sorgho restent prédominants dans les zones rurales. Pourtant, le décrochage de la production céréalière par habitant est une réalité inquiétante, notamment en Afrique de l’Ouest où les terres arables sont limitées face à la croissance démographique (AFD, 2025). Pendant ce temps, la Russie renforce sa position dominante sur le marché africain, avec une hausse de 23 % de ses exportations de blé vers l’Afrique de l’Ouest en un an, soit 1,7 million de tonnes, principalement vers le Nigeria, selon Sputnik Afrique. Moscou s’impose ainsi comme un fournisseur stratégique, devant l’Union européenne ou les États-Unis. La bourse américaine CME Group a lancé un contrat à terme sur le blé de la mer Noire, adossé aux ports roumains et bulgares, pour sécuriser les échanges dans une zone représentant 40 % du commerce mondial. Ce contrat «CVB» vise à renforcer la transparence des prix face à la concurrence du blé russe. Face à cette dépendance importée, les promesses politiques africaines peinent à se traduire en actes. L’engagement pris en 2003, renouvelé en 2025 à Kampala, de consacrer 10 % des budgets à l’agriculture reste largement non respecté, relaye Les Échos. Le sous-investissement chronique dans les infrastructures agricoles empêche tout virage vers l’autosuffisance. L’Afrique est donc à un tournant. Soit elle continue d’alimenter la dynamique d’un marché mondialisé du blé, au risque de renforcer sa vulnérabilité. Soit elle engage les réformes profondes nécessaires pour valoriser ses cultures locales et sécuriser son avenir alimentaire. L’urgence n’est plus théorique, elle est démographique, économique — et stratégique.


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