Khol’â: la vérité des chiffres

Depuis quelques semaines, les réseaux sociaux bruissent de chiffres alarmistes sur le khol’â, ce divorce initié par la femme moyennant compensation. Des voix s’élèvent notamment du camp islamiste, pour dénoncer ce qu’elles perçoivent comme une «bombe familiale». Mais le ministre de la Justice, Lotfi Boudjemaâ, a tenu à remettre les pendules à l’heure, chiffres à l’appui. Face à un député du mouvement El Binaa qui pointait du doigt «l’abus» du khol’â par les femmes, le garde des Sceaux a sorti l’arme la plus tranchante qui soit : les statistiques officielles. Selon une étude menée par le ministère de la Justice, le khol’â ne représente que 27 % des divorces enregistrés entre 2021 et le premier semestre 2025. Loin d’être la première cause. La palme revient à la répudiation, décidée unilatéralement par les hommes, qui pèse 42% des cas sur la même période. «La justice n’intervient qu’en dernier recours», a rappelé le ministre. Avant chaque divorce, le juge tente une médiation. Mais lorsque la réconciliation échoue, la loi et la Charia tranchent: la femme peut recourir au khol’â. Ce rappel à la réalité intervient alors que le pays fait face à une vague de divorces sans précédent. Selon l’Office national des statistiques, 240 cas sont enregistrés chaque jour en 2024, soit plus de 87.000 divorces par an, contre environ 68.000 en 2019. Le taux de séparation, passé de 20,9 % en 2019 à 33,5 % en 2023, fait frémir: un mariage sur trois se brise aujourd’hui en Algérie. Le Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme tire la sonnette d’alarme. Dans son rapport 2025, il évoque une mutation profonde : urbanisation rapide, recul du modèle familial élargi, femmes plus instruites et plus autonomes. L’émancipation économique féminine change la donne: «Un divorce n’est plus un drame financier», note le rapport. Pour Lotfi Boudjemaâ, il serait vain de diaboliser le khol’â. Le vrai défi, dit-il, réside dans la prévention. Sensibiliser, éduquer, accompagner les jeunes couples avant qu’ils ne franchissent la porte du tribunal. Car, au-delà des chiffres, se joue ici le pouls d’une société en pleine mutation, tiraillée entre tradition et modernité. Et pendant que les chiffres défilent, implacables – plus de 70.000 divorces par an, trois mariages sur quatre rompus dans les trois premières années – la société algérienne, elle, cherche encore l’équilibre entre le droit d’aimer, de partir… et celui de reconstruire.


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