Comment les Algériens de France passent leur ramadhan ? La brouille politique et les frictions entre Alger et Paris ont-elles vraiment un impact sur le commerce ? Nous avons posé des questions à des ressortissants algériens établis en France. Dans ce pays de l’Europe occidentale, ce ne serait pas du tout ou presque le climat de joie des ramadhans écoulés. Pour des immigrés algériens, le ramadhan 2025 n’a plus la même saveur contrairement peut-être aux Algériens résidant dans le pays considérés «géographiquement beaucoup moins permissibles» à la chose politique. Les musulmans algériens des quartiers de la capitale française passent le ramadhan, mois de la prière du jeûne et du partage, sous un climat toujours tendu entre les deux pays. Ils considèrent y avoir pris goût tellement cette tension est devenue une routine tant elle ne les empêche pas d’accomplir en sérénité leur rituel sacré de la religion ni de se rapprocher ou déguster des moments d’extase du fait des soirées ramadanesques inoubliables. L’un de ces quartiers, celui de Barbès-Rochechouart dans le nord de Paris. Là, les rayons de soleil éclairent, ce vendredi 21 mars, les étals de biscuits ronds enrobés de miel, les pâtisseries fourrées d’amandes et parfumées à la fleur d’oranger, les variétés de dattes sucrées. Une splendeur pour rien de tel ne saurait rater les membres de la diaspora algérienne. Le commerce est mi-figue mi-raisin. C’est au rythme des humeurs des uns et des autres et au gré de l’entendement et du partage sur lequel, d’ailleurs, se conjuguent et s’entendent beaucoup de français de souche et de ressortissant algériens établis sur le sol français depuis des années et qui ont pris coutume d’y passer le ramadhan. «Le ramadhan est une période où les ventes sont bonnes", explique Mahjoub Youssef, originaire d’Alger, qui travaille comme vendeur dans l’une des boutiques de pâtisseries du boulevard de la Chapelle. Cette période festive a pourtant une saveur particulière cette année pour les Algériens de France qui suivent de près les échanges tendus entre Paris et Alger. Certains membres de la communauté algérienne trouvent cette brouille inquiétante, tandis que d'autres préfèrent ne pas s'épancher sur le sujet. Cet avis n’est pas toutefois partagé par un autre communautaire algérien de France. Il fait partie des Algériens de l’Hexagone qui ne mélangent pas les affaires et le commerce avec la politique. «Cela ne nous dérange pas pour le moment et nous trouvons ici toutes les facilités et les conditions pour exercer nos métiers» disent certains d’entre eux. Ils estiment que «c’est un problème de dialogue pas plus». Patron d’une boutique de viande halal dans le quartier et vivant en Seine-Saint-Denis depuis une vingtaine d’années, Yassine, âgé de 36 ans, commente la situation. "Nous travaillons avec des Français, des musulmans, des chrétiens, des juifs sans problème." Alors qu’il dispose des deux passeports, il reste convaincu que "la France et l’Algérie sont des peuples frères" et que les tensions diplomatiques "sont très loin du quotidien des gens du quartier, où les Algériens sont surreprésentés". Yassine s’en lasse face aux déclarations de responsables de partis français. Il se garde d’en parler "La dernière fois, un politicien a dit 'Les Algériens sont des voyous'. Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre !", déplore-t-il. Originaire d’Annaba en Algérie, propriétaire d’une boutique de dattes, arrivé en France il y a 35 ans, Mouloud estime quant à lui qu’il n’y a pas de "problèmes ou de changements significatifs dans son quotidien". Pour lui, les récentes tensions sont une "petite crise passagère", et il estime que la seule chose désirable "est une bonne relation entre les deux pays". Cette "relation en yo-yo, depuis la colonisation, laisse des séquelles et les conséquences sont indéniables au niveau économique, relationnel ou encore culturel", conclut-il. Peu avant l’heure de la prière de Dohr devant la Grande mosquée de Paris, les langues se délient à la mi-journée dans le quartier du Jardin-des-Plantes, dans le 5ème arrondissement de la capitale. Âgée de 81 ans, Myriam, d’origine kabyle, affirme qu’autour d’elle, "les gens sont abasourdis par la situation et le climat médiatique". Pour les Algériens de France, il est impossible, "même si nous nous sentons français, de balayer notre appartenance d'un revers de main". Selon elle, la détérioration de la relation bilatérale trouve son essence "dans un manque de dialogue entre les deux nations", puisqu’en "écoutant l’autre, il est plus facile de trouver un compromis". Concernant les réactions de l’Algérie, Myriam affirme cependant qu’"on ne peut pas tout avaler sans réagir et c’est parfaitement normal". Quant au ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, qui a promis la semaine dernière une riposte "graduée" face au refus de l'Algérie de reprendre ses ressortissants que la France voulait expulser, "il devrait revoir sa copie", estime-t-elle poliment. "Ce n’est pas en se bagarrant tout de suite d'emblée que l’on obtient ce que l’on veut", estime-t-elle. Une des principales raisons de la mésentente actuelle est l'annonce par Emmanuel Macron, en juillet 2024, de son soutien appuyé à un plan d'autonomie sous souveraineté marocaine pour le Sahara occidental. "Emmanuel Macron retourne sa veste en se mettant du côté des Marocains", déplore-t-elle. L'octogénaire préfère finalement "ne pas penser aux répercussions et à l’avenir". Deux jeunes Franco-Algériennes se confient plus franchement, déclarant "ne pas avoir envie d’évoluer ou de fonder une famille en France". Enfants de la diaspora algérienne, âgées de 30 et 24 ans, les jeunes femmes sont nées en France et travaillent dans le milieu artistique parisien. L’une, Dounia, est dans le design, l’autre, Neïla, dans l’industrie de la musique. Menaces gouvernementales, questions de visas, remise en cause des accords de 1968, arrestation d'influenceurs, d'intellectuels… "L’actualité est fatigante et anxiogène. À force, nous arrêtons de la suivre", déclare Dounia. "Pour être honnête, nous comprenons parfaitement les décisions et la réticence algérienne vis-à-vis de la France", lâche Dounia. Et ce, notamment en raison de "l’histoire de la colonisation et des crimes français commis pendant la guerre d’Algérie", ajoute-t-elle. Au-delà de la relation franco-algérienne, "les débats récents sur le voile et, de manière générale, la perception de l’islam en France me donne le sentiment de ne pas être la bienvenue ici", se désole Neïla.
Chose difficilement acceptable pour ces femmes qui "sont nées ici, disposent des codes occidentaux, de la culture et de la mentalité françaises", poursuit-elle. Cette double appartenance donne le sentiment "d’avoir le cul entre deux chaises", puisqu’"au bled, nous sommes françaises, et à Paris, nous sommes étrangères", conclut Dounia.