Béjaïa. Le cinéma à l’honneur

La capitale des Hammadites vit, depuis samedi dernier, au rythme de la 20e édition des Rencontres cinématographiques de Béjaïa (RCB). Ce rendez-vous, devenu incontournable pour les amoureux du 7e art et organisé par l’association Project’heurts, a ouvert ses portes à la Cinémathèque de la ville devant une salle comble et un public toujours plus fervent. La pluie, invitée surprise de la cérémonie d’ouverture, a semblé bénir cette édition anniversaire, comme un signe de renouveau. Vingt ans après la première rencontre, le pari de Project’heurts est plus que jamais tenu : faire de Béjaïa une ville de cinéma, ouverte sur le monde, curieuse de toutes les formes, attentive aux voix singulières. «La passion est toujours intacte», a affirmé Hassan Keraouche, directeur de la manifestation, rappelant que cet événement a été porté dès le début par une ville, une région et un pays qui ont fait du cinéma un espace de rencontre et de ferveur collective. C’est avec Bin U Bin (Ailleurs, la frontière), premier long-métrage de Mohamed Lakhdar Tati, que cette 20e édition a levé son rideau. Ce drame, situé dans l’univers de la contrebande de carburant aux frontières algéro-tunisiennes, interroge la notion d’«entre-deux», à la fois géographique et existentiel. Avec Salim Kechiouche et Slimane Dazi dans les rôles principaux, Tati signe une œuvre dense et mélancolique, traversée par des symboles et des allusions sociales autant que mythologiques. Inspiré du roman Le quai aux fleurs ne répond plus de Malek Haddad, le film se veut une méditation sur la marge, les frontières et les destins brisés.
Après sa première mondiale au Red Sea International Film Festival et sa sélection au Festival du film francophone d’Angoulême, il poursuit désormais sa route à Béjaïa avant d’être projeté au Festival méditerranéen d’Annaba. Durant six jours, du 6 au 11 septembre, trente-deux films venus d’une vingtaine de pays sont programmés à la Cinémathèque et dans plusieurs espaces de la wilaya: Droudj Baba Ali, Aït Aïssa (Aokas) et Timezrit. Fictions, documentaires et courts-métrages composent cette sélection, avec des œuvres marquantes comme After Oil de Boima Tucker, Agora d’Ala Eddine Slim, Terre de vengeance d’Anis Djaad ou encore Post Trauma de Nidal Badarny. Une carte blanche est par ailleurs accordée au « Focus Québec », confiée à un collectif de jeunes cinéastes québécois et canadiens, offrant une vitrine à un cinéma nord-américain en pleine effervescence. Deux ateliers viennent compléter la programmation : l’un consacré aux métiers techniques du cinéma, entre créativité et rigueur, et l’autre à la question brûlante de l’intelligence artificielle et de ses usages dans le 7e art. Au-delà des projections, les RCB sont devenues un véritable laboratoire intellectuel et citoyen. Cafés-cinés, tables rondes et débats investissent la Casbah de Béjaïa, ce lieu chargé d’histoire où les murs semblent dialoguer avec les images. « Être directeur artistique des RCB, c’est d’abord écouter les cinéastes, les critiques et créer un dialogue entre les deux », souligne Hakim Abdelfettah. L’audace, dit-il, reste la clé : montrer des films qui bousculent, dérangent, interrogent, parce que le cinéma est à la fois miroir et levier pour penser l'avenir. À cet esprit s’ajoute la contribution de personnalités comme Sofiane Zermani, qui renouvelle cette année sa bourse d’aide aux jeunes cinéastes. L’artiste a rappelé son attachement personnel à Béjaïa, terre de ses racines, et son désir d’accompagner de nouveaux talents. Entre projections, débats et partages, la 20e édition des Rencontres cinématographiques de Béjaïa rappelle que le cinéma est bien plus qu’un art de la représentation : il est aussi un espace de relation et de transmission.


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