Star mondiale du ballon rond et icône planétaire de la lutte pour l’indépendance et la liberté, Rachid Mekhloufi a rejoint l’Eternel, vendredi soir, à l’âge de 88 ans, dans un hôpital parisien. C’est un grand pan de l’histoire de l’Algérie du football, de la lutte contre le colonialisme et de l’envol pour le Mondial-1982 qui s’est écroulé avec la disparition de Rachid Mekhloufi ou celui que la France avait surnommé le «gentleman révolutionnaire»! Né à Sétif le 12 août 1936 puis parti en famille en France, c’est comme attaquant des Verts de l’AS Saint-Etienne qu’il s’est révélé à la face du monde entre 1954 et 1958, puis entre 1962 et 1968. Il y fut notamment champion de France de D2 (1963), quatre fois champion de France de D1 (1957, 1964, 1967, 1968) et remporta la Coupe de France 1968. 2ème meilleur buteur de l'histoire de l'ASSE (151 buts, toutes compétitions confondues) derrière Hervé Revelli (209), l’ancien sélectionneur national est également passé aussi par le Servette Genève (Suisse, 1962) et le SC Bastia (1968-1970). Champion du monde militaire en 1957 avec les Bleus, il avait aussi et surtout été international français (1956-1957, 4 sélections) et destiné donc à disputer la Coupe du monde 1985 en Suède avec les Bleus avant de tout plaquer pour rejoindre à Tunis, le 14 avril 1958, en compagnie de Mokhtar Aribi (ex-RC Lens/ France) et Abdelhamid Kermali (Olympique lyonnais/ France) pour rallier les rangs de l'équipe du FLN.
L’intenable ambassadeur de la cause algérienne
«L’Equipe du FLN a fait gagner 10 ans à la révolution algérienne» disait-on, d’ailleurs, de ces «dribleurs de l’indépendance » qui ont porté haut les couleurs nationales et fait connaitre «la cause algérienne» aux quatre coins du monde. Après l’indépendance, il reprit sa carrière en France avant de prendre par la suite les destinées de l’EN qu’il aida à se qualifier à sa première Coupe du monde avec Rogov, Saâdane et Maouche avant d’en être écarté pour des raisons encore inconnues et remplacés par Mahieddine Khalef. Sans surprise, son club de cœur, l’AS Saint-Etienne dont il était «ambassadeur à vie» lui a rendu un vibrant hommage à l’annonce de sa mort. «C'est avec une infinie tristesse que l'AS Saint-Étienne a appris la disparition de Rachid Mekhloufi, l'une des figures légendaires de notre club, à l'âge de 88 ans. Pour l'éternité, Rachid Mekhloufi a rejoint ses coéquipiers Robert Herbin, Georges Bereta, André Fefeu, Salif Keita et Kees Rijvers, enlevés dernièrement à l'affection des leurs, autant de joueurs, exemplaires et talentueux tout à la fois, qui auront laissé une trace indélébile dans la mémoire collective du Peuple Vert» pouvait-on, en effet, lire à ce sujet.
Le magnifique hommage de l’ASSE
« Créatif et inventif, décisif et combatif, buteur et passeur, architecte et bâtisseur, à l'origine et à la conclusion d'actions initiées avec cette incomparable science du jeu qui le caractérisait, l'enfant de Sétif, champion du monde militaire 1957 avec la France, était une personnalité hors normes. Sur le rectangle vert bien évidemment, mais également dans sa vie de citoyen engagé. Il était un ardent défenseur d'un pays et d'une cause qui lui étaient chers et pour lesquels il n'hésita pas, un soir d'avril 1958 à fuir, caché dans une Aronde via la Suisse, afin de rejoindre la Tunisie. Privilégiant un idéal à sa carrière qui l'aurait sans doute vu fouler les pelouses suédoises de la Coupe du monde 1958» témoignait, ensuite, le club 10 fois de champion de France dans son hommage. Et d’embrayer: «Cette volonté de promouvoir pacifiquement la création d'un état indépendant algérien se traduit par la naissance de l'équipe du FLN et des matches de gala à travers le monde. Elle s'érigera en porte-drapeau d'une nation luttant pour son indépendance. Mekhloufi en sera l'une des voix. Fortes. De celles qui portent, touchent au cœur et fédèrent. Son départ, éminemment politique, le maître à jouer et à penser de cette sélection pas tout à fait comme les autres l'assumera pleinement. "Le football a réveillé la conscience endormie des hommes", confiera-t-il plus tard. Le futur ex-Stéphanois venait sans doute en l'occurrence de remporter l'un des plus beaux matches de sa vie. Ses prises de position, son intelligence, sa grande courtoisie ne lui valurent-ils pas le surnom de "gentleman révolutionnaire"? Ayant formé chez les Verts une triplette offensive au plus-que-parfait avec Kees Rijvers et Eugène N'Jo Léa, Rachid Mekhloufi savait tout faire. Et tout bien faire. Ballon au pied, micro en main, il s'exprimait avec une aisance insolente, suscitant l'admiration de ses coéquipiers, la crainte de rivaux dont il pouvait se jouer à tout instant, d'une passe millimétrée, d'une ouverture géniale, d'une frappe chirurgicale. En attaquant racé, en adversaire respecté. De ceux qui font partie de "la race des savants auxquels on n'a rien à apprendre, qui inventent le foot. Une perle, le partenaire idéal", aux yeux de Jean Snella, le précurseur éclairé, l'infatigable travailleur, l'homme des premiers titres, intimement lié à Rachid Mekhloufi ».
«Le football réveille la conscience»
La conclusion de ce magnifique témoignage de la trace laissée par l’idole algérienne ne pouvait, alors, qu’être encore plus belle, plus marquante. « Après avoir épousé la cause du FLN, plus de quatre années durant, Rachid Mekhloufi revint en Europe. Au Servette de Genève de Jean Snella puis, en décembre 1962, à l'AS Saint-Étienne, "son club de cœur", accompagné du même Snella. Avec le club stéphanois, témoignage de sa fidélité, il remporta notamment quatre titres de champion de France, dont le tout premier de l'histoire du club en 1957 (exercice durant lequel il inscrivit 25 buts !), puis les suivants en 1964, 1967 et 1968. Une "performance", quasiment une incongruité d'un autre temps, et pour lequel il inscrivit 152 buts, faisant valoir sa maîtrise technique et une remarquable clairvoyance rehaussées par une justesse de passe et une finition clinique. Lors du doublé de 1968, il signe notamment les deux buts de la victoire en finale (2-1) face aux Girondins de Bordeaux. Surtout, il restera à jamais le premier buteur de l'histoire du club en Coupe d'Europe, en 1957, face aux Rangers à Glasgow» épiloguera l’ASSE. A sa famille et ses proches, Le Carrefour d’Algérie présente ses sincères et plus attristées condoléances.