Flambée de l’euro: à traduire par «dégringolade du dinar algérien»

Dans un contexte économique marqué par une rareté croissante des devises, l’euro poursuit une ascension spectaculaire face au dinar. Une flambée qui ne surprend plus les ménages ni les opérateurs économiques, mais qui révèle un système de change à bout de souffle, dominé par des déséquilibres structurels, une réglementation rigide et un marché informel devenu le dernier recours pour une population en quête de solutions rapides. Depuis plusieurs années, l’économie nationale comptait un peu sur les transferts de la diaspora, l’une des sources de devises étrangères. Or, ces envois connaissent une baisse notable par le biais du circuit officiel, préférant largement un passage par le circuit informel, beaucoup plus avantageux, fragilisant davantage les réserves de change du pays. Le recul des transferts, combiné à la faiblesse des exportations et à la chute des recettes pétrolières, réduit mécaniquement l’offre de devises dans le circuit formel. Les autorités, confrontées à cette contraction, resserrent à leur tour les mécanismes de contrôle, créant un climat où chaque billet en euro ou en dollar devient un bien rare. Le pays ne dispose pas de bureaux de change opérationnels et l’accès aux devises dans les banques s’avère quasi impossible pour les particuliers. Les guichets officiels exigent des documents multiples : justificatifs de voyage, autorisations administratives ou encore plafonds de transferts strictement définis. Même dans les cas où les devises sont théoriquement disponibles, les délais de traitement s’étirent en longueur, décourageant la majorité des demandeurs. Cette lourdeur administrative s’inscrit dans une législation de change très contrôlée, héritée d’un modèle qui vise à protéger les réserves mais qui, en pratique, alimente la frustration des usagers. Paradoxalement, jamais la demande en devises n’a été aussi forte. Les familles cherchent des euros pour financer des soins médicaux, des études à l’étranger, des voyages ou l’achat de véhicules. Les commerçants et petits importateurs, quant à eux, doivent s’approvisionner directement à l’étranger pour assurer la survie de leurs activités, dans un contexte où les importations globales diminuent. Cette réduction des importations officielles a encouragé une forme d’«importation pour propre compte», encore plus dépendante du marché informel.
La structure même de l’économie contribue à cette tension permanente: le pays n’est pas une grande destination touristique, hormis pour les membres de la diaspora établie à l’étranger ou voyageurs d’affaires, ce qui limite l’entrée naturelle de devises. Les exportations, déjà faibles, ont continué de reculer, accentuant la pression. En parallèle, la fluctuation de la valeur des recettes pétrolières, la principale source de devises, affaiblit les équilibres financiers. Pour compenser le manque de ressources, les autorités ont parfois eu recours à la planche à billets, alimentant l’inflation interne et réduisant davantage le pouvoir d’achat de la monnaie locale, déjà fragilisée. Dans cet environnement, le marché informel des devises n’est plus un phénomène marginal: il est devenu un acteur central, comblant les défaillances d’un système officiel incapable de répondre à la demande. En l’absence d’alternative fiable, particuliers et entreprises se tournent massivement vers les cambistes de rue où les transactions sont rapides, sans justificatifs, mais à des tarifs s’écartant largement du taux officiel. Cette disparité croissante entre le taux bancaire et le taux parallèle crée une règle vicieuse: plus l’accès aux devises est restreint, plus le prix grimpe sur le marché informel. La flambée actuelle de l’euro reflète donc les contradictions profondes de l’économie algérienne: dépendance aux importations, faiblesse du secteur productif, rigidité administrative et pénurie chronique de devises dans les circuits légaux. Tant que les réformes annoncées, notamment l’ouverture effective des bureaux de change, resteront lettres mortes et que l’économie ne diversifiera pas réellement ses recettes en devises, le marché informel continuera à dicter le «véritable» taux du dinar, au détriment de la stabilité financière du pays.


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