Béjaïa. La langue amazighe à l’épreuve du numérique

Le Centre de recherche en langue et culture amazighes (CRLCA) de Béjaïa, a abrité une conférence nationale consacrée au traitement automatique des langues naturelles appliqué à tamazight. Cette rencontre a réuni des chercheurs, linguistes et informaticiens venus d’universités et de laboratoires spécialisés, pour réfléchir ensemble à l’avenir numérique de la langue amazighe. Elle a constitué une occasion propice pour projeter tamazight dans le monde technologique de demain, un univers façonné par les algorithmes, les données et l’intelligence artificielle.
Les participants ont longuement échangé sur les conditions d’une telle transition. Tamazight peut-elle trouver sa place dans un univers linguistique dominé par l’anglais, où la technologie tend à uniformiser la communication? Comment faire des outils de l’intelligence artificielle des alliés plutôt que des menaces? Le directeur du CRLCA a insisté sur ce point en soulignant que «sans intégration numérique, la langue et la culture amazighes risquent de se retrouver en marge d’un monde globalisé qui avance à grande vitesse». «L’avenir des langues dépend désormais de leur capacité à investir le champ numérique, à se rendre visibles, utilisables et vivantes dans les systèmes informatiques», ont soutenu d’autres intervenants. Le professeur Ramdane Boukhrouf, de l’université de Tizi Ouzou, a consacré son intervention à la question centrale de la standardisation. Dans sa communication intitulée «La langue amazighe à l’ère de l’intelligence artificielle», il a tenu à souligner qu’« aucune langue ne peut être intégrée dans le numérique sans une base linguistique unifiée». «Pour que tamazight soit comprise par les machines, il faut d’abord la doter d’un socle normatif clair: orthographe harmonisée, grammaire de référence, lexique commun et corpus de données linguistiques fiables. Cette normalisation ne signifie pas uniformisation», a-t-il précisé, insistant sur «la mise en cohérence d’une langue riche de sa diversité, afin de la rendre techniquement exploitable dans les outils modernes». Des avancées importantes ont déjà été enregistrées, ont noté d’autres intervenants, qui ont mis en avant «les polices de caractères Tifinagh développées, le clavier amazigh désormais disponible et les bases de données lexicales qui commencent à voir le jour». Ces initiatives constituent, selon eux, « les premiers jalons d’une présence numérique durable». Toutefois, les chercheurs soulignent que le chemin reste long et semé d’obstacles, recommandant « l’enrichissement des corpus linguistiques, qui doivent être standardisés et diversifiés pour couvrir la pluralité des parlers amazighs». Les outils d’apprentissage automatique exigent également, rappellent-ils, «des données massives et de qualité, faute de quoi les modèles d’intelligence artificielle produisent des résultats approximatifs et biaisés». Plusieurs communications ont illustré la richesse et la créativité de la recherche amazighe dans le domaine numérique. Des travaux ont été présentés sur la reconnaissance vocale, l’étiquetage automatique, la traduction assistée et la création de dictionnaires numériques. D’autres chercheurs explorent la possibilité de développer des assistants vocaux amazighophones ou des applications éducatives interactives destinées à l’enseignement de la langue. Ces pistes témoignent d’une dynamique en pleine expansion et d’un engagement collectif à faire de tamazight une langue de science et de technologie. Cette conférence, qui s’est étalée sur deux jours, a également permis de débattre en profondeur du rôle de la recherche dans la préservation du patrimoine immatériel. L’intégration numérique de tamazight n’est pas qu’un enjeu linguistique : c’est aussi une question de souveraineté culturelle et de justice symbolique. Faire entrer la langue amazighe dans le monde des machines, c’est affirmer qu’elle appartient à la modernité, qu’elle peut être un vecteur de connaissance, d’innovation et de créativité au même titre que les autres langues du monde. Tamazight, forte de sa mémoire plurimillénaire, s’apprête à franchir une nouvelle étape de son histoire. Après avoir résisté à l’effacement, elle entre aujourd’hui dans l’univers du code et des données, décidée à faire entendre sa voix. À Bejaïa, les chercheurs n’ont pas seulement parlé de technologie, mais de transmission, d’identité et d’avenir. Le numérique devient ainsi un nouvel espace de lutte et de renaissance, un lieu où la parole des ancêtres s’écrira bientôt dans le langage des machines.


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