Par naïveté intellectuelle, par onirisme béat, par saute d’humanisme, l’on s’est toujours agrippé à la croyance en la vulnérabilité du mal, et à nos capacités et notre génie d’avoir toujours le dessus, quoique fussent les persévérantes théories véhiculant un manichéisme tranchant. Il a toujours été admis que l’humanité ne peut faire son chemin et justifier son existence, sans en appeler à sa raison et à sa conscience pour circonscrire, voire éradiquer ce qui est néfaste pour son salut. On tenait pour acquis que ces saines et nobles aspirations étaient légitimement à notre portée. La réalité nous jette à la figure un démenti cruel. Lorsqu’un premier ministre voyou jure qu’il rasera une cité de deux millions d’habitants, avec corps, biens et âmes, lorsque son mentor aux commandes de la première puissance militaire du monde s’oppose à toute trêve, et encourage de ce fait le sanglant génocidaire à laisser mourir de faim femmes, hommes, enfants et vieillards, on a la preuve que la barbarie, tout comme durant les temps passés d’ailleurs, vient aussi et surtout du monde dit civilisé. Certains émules de ce courant ignoble qui ne crache que la haine de tout ce qui est différent ou étranger, se mettent de la partie, et la morbide illustration nous vient de l’imberbe dirigeant du parti d’extrême droite française, qui prône ni plus ni moins que la suppression de l’aide à la gestion de l’eau sur le territoire de Gaza. La faim ne leur suffisait pas, il leur faudrait aussi user de la soif comme arme de crime de guerre. Et l’œuvre macabre continue implacablement, sous les yeux d’un monde effaré, paralysé par la malfaisance immanente des démons. Car dans cette mise en scène tragique, les discours policés des chancelleries et les déclarations humanistes de circonstance ne sont que des voiles translucides dissimulant une lâcheté assumée. Les grands donneurs de leçons universelles, ceux qui jadis s’érigeaient en juges et en arbitres de la morale planétaire, se contentent aujourd’hui de formuler de tièdes admonestations, qui résonnent comme des échos creux dans le vacarme des bombes. La complicité, en vérité, ne réside pas seulement dans les armes livrées, mais dans ce silence qui devient approbation, dans ces détournements du regard qui deviennent bénédictions tacites. Et pourtant, l’humanité persiste à croire qu’elle peut encore s’extraire de ce cycle infernal. Mais combien de fois faudra-t-il voir les adeptes de l’apocalypse se pavaner sous l’étendard des démocraties pour comprendre que la frontière entre le barbare et le civilisé n’existe que dans nos manuels scolaires ? Les archives de l’Histoire sont saturées de promesses trahies et de pactes scellés sur le sang des innocents. Aujourd’hui, le scénario se répète avec une froideur mécanique. L’homme moderne, bardé de technologies et de certitudes scientifiques, n’a pas su déraciner la bête intérieure. Et c’est cette bête, toujours prête à surgir, qui rit du désarroi des peuples et déchire sans remords le fragile tissu des illusions humanistes.