80 ans après les massacres du 08 mai 1945. L’Algérie n’oublie pas

Le 8 mai 2025, alors que l’Europe célèbre les 80 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Algérie se recueille à la mémoire d’un autre 8 mai, celui de 1945, resté dans l’histoire comme un jour de deuil et de sang. Ce jour-là alors que le monde saluait la victoire contre le nazisme, des milliers d’Algériens furent massacrés par les autorités coloniales françaises à Sétif, Guelma, Kherrata et dans d’autres régions de l’Est algérien. Les manifestations pacifiques, organisées à l’appel des AML et du PPA, pour réclamer l’indépendance et rappeler l’engagement des soldats algériens dans la guerre, furent brutalement réprimées. À Sétif, le jeune scout Bouzid Saâl qui portait le drapeau national, fut abattu d’une balle. Sa mort déclencha un enchaînement tragique. «Les violences s’étendirent, provoquant la mort d’une centaine de colons et en retour, une répression impitoyable s’abattit sur la population algérienne», racontent les témoins oculaires du crime. Aviation, milices, exécutions sommaires, emprisonnements de masse: la machine coloniale fut implacable. Le nombre de morts est plus de 45.000, selon les historiens, bien loin des 1.500 annoncés à l’époque par les autorités coloniales françaises. Ce traumatisme national marqua une rupture irréversible entre le peuple algérien et la France coloniale. Il cimenta la conscience nationale, renforça l’élan indépendantiste et ouvrit la voie à la révolution du 1er Novembre 1954. «?La guerre d’Algérie a commencé ce jour-là?», dira plus tard un général français. Le témoignage de Kateb Yacine, alors lycéen à Sétif, illustre cette prise de conscience brutale: «Le choc que je ressentis devant l’impitoyable boucherie… je ne l’ai jamais oublié. Là  se cimente mon nationalisme». L’historien Mohamed Harbi parle d’un événement «radicalisant irréversiblement le mouvement national», tandis que Mohamed Boudiaf affirmait que «l’échec du 8 mai 1945 avait enseigné au peuple algérien qu’il ne pouvait espérer la justice par des moyens pacifiques». En 2020, Emmanuel Macron avait qualifié les massacres de «crimes inexcusables», sans toutefois parler de crimes d’État. Des associations, des historiens et des élus réclament aujourd’hui «la reconnaissance formelle, l’ouverture des archives militaires et la réparation morale». Des juristes algériens et français évoquent aujourd’hui de «classer ce qui s’est passé le 8 mai 1945 en Algérie comme crimes contre l’humanité», au regard du droit international et au professeur Zidane Salah Eddine d’insister sur la nécessité d’une «nouvelle approche historique et juridique qui consiste à reconnaître et s’excuser officiellement des atrocités commises» au nom de la France. «Cette France qui célèbre la victoire sur la barbarie nazie, ne peut continuer à occulter les crimes coloniaux qu’elle a perpétrés», rappelle le collectif français "L’Autre 8 mai 1945", pour qui «la mémoire partagée commence par la vérité reconnue». Alors que les témoins disparaissent, ce 80e anniversaire est l’occasion de transmettre cette mémoire aux jeunes générations algériennes dont le pays commémore cette date comme «la Journée nationale de la Mémoire, non pour raviver les haines, mais pour que justice, vérité et dignité soient enfin rendues aux martyrs du 8 mai 1945». Le 8 mai 1945, jour de célébration de la victoire des Alliés sur le nazisme, fut en Algérie une date sanglante, marquée par une répression coloniale d’une violence inouïe. Ce choc historique, souvent occulté dans les récits officiels, a bouleversé de manière irréversible la conscience politique de nombreux intellectuels algériens. Parmi eux, Jean El-Mouhoub Amrouche et Kateb Yacine dont le 8 mai 1945 vient fissurer un idéal «celui d’une possible cohabitation entre la France coloniale et les Algériens». Amrouche a été l’un des rares journalistes à faire un reportage, après avoir entrepris un long voyage d’investigations de six semaines à travers l’Algérie meurtrie. De Tunis à Alger, en passant par Sétif, Constantine, Tizi-Ouzou et son village natal d’Ighil Ali, il observe, interroge et écoute. De ce périple naît un texte majeur, resté longtemps inédit, dans lequel il interroge frontalement: «Les Algériens veulent-ils ou ne veulent-ils pas rester Français?». Ce reportage, refusé à l’époque par le journal Combat, dirigé par Albert Camus, ne sera publié qu’en 1994. Il démontre un tournant radical dans la pensée d’Amrouche qui est la fin des illusions dont «le 8 mai 1945 marque la mort d’une «France mythique, celle qu’il avait aimée et défendue contre le nazisme» et l’éveil d’une conscience anticolonialiste. Dans ce texte, l’auteur dénonce sans détour les atrocités commises, qualifie les massacres «d’ébranlement terrible» et amorce une rupture avec les élites françaises, y compris son ami Camus. Le rêve d’une Algérie française s’effondre, la déchirure est aussi profonde. Le mardi 8 mai 1945 reste gravé dans l’histoire comme un jour de dignité et de sang pour Kateb Yacine. Alors élève au lycée « Eugène Albertini », l’auteur de Nedjma participe à une marche pacifique avant d’être brutalement confronté aux massacres perpétrés par le colonialisme français. Arrêté puis emprisonné, il en conservera un traumatisme profond et durable. «Pour la première fois, mon humanitarisme fut confronté au plus atroce des spectacles», écrira-t-il, à propos de ces événements tragiques vécus à l’âge de 20 ans. «Le choc que j’ai ressenti devant l’impitoyable boucherie qui provoqua la mort de plusieurs milliers de Musulmans, je ne l’ai jamais oublié. Là se cimente mon nationalisme», conclura-t-il en substance. Le 8 mai 1945 reste dans les mémoires comme un symbole de la brutalité du colonialisme criminel français qui rappelle la violence inqualifiable infligée au peuple qui continue de hanter les générations successives. À travers la commémoration de cet événement, l'Algérie perpétue la mémoire de ses martyrs; un devoir de mémoire, pour rappeler que l’histoire coloniale ne peut être effacée ni occultée. Ce n’est qu’en acceptant la vérité historique que la France pourra, peut-être, contribuer à réparer une partie du mal qu’elle a infligé à l’Algérie qui lutte pour la reconnaissance des massacres. Un processus complexe de mémoire partagée et de justice historique qui commence par la vérité reconnue.


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