Il a été assassiné le 25 juin 1998. L’éternel Matoub Lounès

Le 25 juin 1998, Lounès Matoub, chanteur, poète, compositeur et militant infatigable pour l’identité amazighe et la démocratie, tombait sous les balles des terroristes. Vingt-sept ans plus tard, la Kabylie se souvient. Partout, des conférences, des débats, des expositions et des veillées sont organisés pour honorer sa mémoire et relire son œuvre à la lumière du présent.

Ces manifestations visent à explorer l’héritage artistique, culturel, philosophique, historique et politique de Matoub. «Il s’agit de valoriser l’immense patrimoine immatériel qu’il nous a légué», témoigne un membre associatif qui voit en ses chansons, sa poésie et sa pensée «tout un monde en soi, une mémoire vivante qui mérite d’être transmise ».
Durant plus de vingt ans de carrière, Matoub a mis sa voix au service de la revendication berbère, des libertés démocratiques, de la paix, de la mémoire, de l’amour, des douleurs de l’exil et des luttes existentielles. En 36 albums, il a bâti une œuvre unique, entre poésie engagée et cri de révolte, entre tendresse blessée et lucidité tranchante.
Né le 24 janvier 1956 à Taourirt Moussa, il compose très tôt ses premières chansons. Après avoir quitté l’école en 1975, il enregistre en 1978 son premier album qui marque le début d’un engagement artistique sans concessions. Très vite, il devient l’une des voix artistiques la plus écoutée et l’artiste le plus aimé, mais aussi le plus redouté.
Lounès Matoub a marqué l’histoire de la chanson algérienne par une œuvre immense et profondément enracinée dans la culture algérienne. Auteur de 36 albums en l’espace de deux décennies, il a mis sa voix au service d’un combat identitaire, démocratique et universel. À travers ses textes chantés en kabyle, il a su exprimer les douleurs d’un peuple, les espoirs d’une jeunesse, mais aussi les blessures de l’exil, les colères face à l’injustice et les tourments du cœur.
Son répertoire est porté par la revendication amazighe en chantant la langue, l’histoire et les droits du peuple berbère dans un contexte où toute affirmation identitaire était perçue comme une dérive politique, notamment au temps du parti unique. Il en a fait une cause centrale, refusant toute compromission en menant aussi un combat inlassable pour la liberté d’expression et la démocratie. Ses chansons sont des dénonciations claires de l’arbitraire, de la répression et de l’hypocrisie politique. Dans les années noires de l’Algérie, il a pris un risque immense en s’opposant frontalement à l’intégrisme religieux. Il a chanté contre l’intolérance, l’obscurantisme et les violences islamistes, malgré les menaces de mort répétées et les tentatives d’assassinat. Mais son œuvre ne se limite pas au combat politique.
Matoub était aussi un poète, un homme sensible, habité par la douleur de l’amour, la nostalgie de l’enfance et la solitude du rebelle. Beaucoup de ses chansons parlent de l’absence, de l’abandon, de la trahison ou encore du rêve brisé. La mémoire est une autre dimension importante de son travail. Il a chanté l’histoire, celle de l’Algérie coloniale et post-indépendance, avec un regard critique mais fidèle à la vérité du peuple. L’Algérie est omniprésente dans son œuvre, tout comme la critique sociale, acerbe et lucide. Il s’est attaqué à la corruption, à l’opportunisme, aux faux intellectuels, avec un verbe tranchant et une ironie redoutable. Au fil des années, ses chansons sont devenues des hymnes populaires, reprises en chœur lors des marches, dans les villages ou encore sur les réseaux sociaux. Sa musique, nourrie de tradition, de chaâbi et d’arrangements modernes, se distingue par une intensité émotionnelle rare.
Sa voix grave sincère, transmettait à elle seule la tension entre la douleur vécue et l’espoir porté. À travers ses textes, Matoub a su élever la chanson kabyle au rang de manifeste poétique et politique. Vingt-sept ans après sa mort, son œuvre reste une mémoire en éveil, un souffle vivant. «Matoub n’a jamais chanté pour plaire, mais pour réveiller, pour transmettre. Et c’est sans doute pour cela qu’il est, encore aujourd’hui, plus vivant que jamais dans les cœurs », nous dira Hamid qui a connu l’artiste de son vivant.
En octobre 1988, alors qu’il distribuait des tracts appelant au calme, il est grièvement blessé par cinq balles, ce qui lui vaudra dix-sept interventions chirurgicales, deux années d’hospitalisation et un handicap à vie. En 1994, alors que le Mouvement culturel berbère (MCB) appelle au boycott scolaire, il est enlevé par un groupe islamiste armé, séquestré durant quinze jours et condamné à mort par une fatwa. Il est finalement libéré grâce à une mobilisation populaire d’une ampleur inédite.
Son combat pour la liberté et la justice lui vaut une reconnaissance internationale. En 1994, il reçoit le Prix de la Mémoire décerné par Danielle Mitterrand, présidente de la Fondation France Libertés. En 1995, il est récompensé par le Prix de la liberté d’expression au Canada, puis par le Prix Tahar Djaout remis au siège de l’UNESCO.
En 1996, il participe en Italie à la Marche des Rameaux pour l’abolition de la peine de mort. Il publie également son autobiographie Le Rebelle, parue chez Stock, dans laquelle il retrace sans détour son itinéraire de combat. Son dernier album, Lettre ouverte aux…, dans lequel il reprend l’hymne national Kassaman en kabyle, lui vaut un disque d’or. Il ne verra pourtant jamais sa sortie. Le 25 juin 1998, après un déjeuner à Tizi Ouzou en compagnie de son épouse Nadia et de ses deux belles-sœurs, il prend la route vers Taourirt Moussa. Au détour d’un virage, sa voiture est prise pour cible.
Criblé de balles, Matoub est assassiné devant les siens. Nadia, blessée, gît à ses côtés; ses deux sœurs sont également atteintes, mais s’en sortent. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre. La Kabylie s’embrase. Durant les manifestations, trois jeunes sont tués dans les émeutes à Sidi Aïch, Tazmalt et Tizi-Ouzou. Quelques jours plus tard, un tract attribué au GIA, signé par Hassan Hattab, revendique l’assassinat. Vingt-sept ans après, la voix de Matoub continue de résonner dans les montagnes kabyles, dans les rues, dans les cœurs. Sa maison natale, à Taourirt Moussa, est devenue un lieu de mémoire.
Une Fondation y a vu le jour, consacrée à la préservation de son œuvre et à la transmission de son message. Pour beaucoup, Matoub incarne une droiture rare, une parole libre, un engagement sans concession. Il est devenu un symbole, un repère moral, une conscience toujours en éveil. Matoub est mort, mais ses œuvres sont éternelles.


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