Accueil » RÉGIONS » 4ème art. Le mystère du théâtre de Kaki

4ème art. Le mystère du théâtre de Kaki

Abdelkader Ould Abderrahmane, dit Kaki, (1934-1995), est un dramaturge qui a marqué à jamais le paysage du 4ème art algérien. On lui reconnaît d’avoir revigoré la scène algérienne et d’avoir été le premier à donner un spectacle théâtral de qualité de l’Algérie indépendante. Ses tournées internationales ont donné à notre pays une image culturelle de haute volée et ont contribué à montrer l’existence d’une culture et d’un peuple qui a résisté à une tentative d’éradication qui rappelle le crime humanitaire. A y regarder de près, la consécration internationale rapide et reconnue de son théâtre a subjugué sur le moment la presse française, elle constitue un mystère. Cette énigme que nous appellerons son cachet, se déployait sur trois axes distincts: terroir, garagouz et avant-garde. Certaines pièces s’incarnent dans un imaginaire traditionnel fécond. D’autres font appel au théâtre d’el garagouz de source ottomane et de type fusionnel. Enfin, une partie s’inscrit dans une recherche avant-gardiste, aboutissement d’un travail de laboratoire assidu. On a souvent parlé du style Kaki en ayant en tête l’image de jeunes comédiens qui racontent le terroir en jeans et tricots noirs. Cette modernité dépouillée conjuguée à cette mémoire des humbles constitue un aspect du paradoxe Kaki. En essayant d’évoquer certains maîtres à penser du théâtre de Kaki, revisitons les pièces qui ont installé cette harmonie, entre le meddah et la modernité. Il est fastidieux de passer à la loupe la quarantaine de pièces du dramaturge, mais prenons quelques exemples. Ainsi 132 ans, la première représentation nationale, se décline dans l’Histoire, l’empreinte du chir melhoun y est très présente. N’oublions pas que Kaki fréquentait Hamada, un lexicologue hors pair, reconnu par El Anka et bien d’autres qui venaient de toute l’Algérie s’enquérir du sens de certaines qacidates chez celui que l’on prend, à tort, pour seulement un chanteur. Le premier volet comprend des pièces comme Dar sidna Nouh ou Mnème Soltane Soulimane plus connue sous le nom de « La légende de la rose ». Elles portent l’empreinte des histoires de sa grand-mère qui l’a élevé dans le merveilleux du terroir et des poèmes repris par les meddahates. L’utilisation de la belle langue du dialectal, parfois sous la forme de chir melhoun, ancre plus le texte au terroir. Citons les pièces Dar Rabbi, Docteur Mounir (qui est une comédie en 4 tableaux, adaptation du « Docteur Knock » de Jules Romains), La salle d’attente, Le photographe, Les déboires du cordonnier, Smasria, Tabib fi filadj ma hou tabib. Ce sont toutes des pièces mineures mais qui lui ont permis sous le regard expert de Cheikh Hamada de se poser l’éternel problème de la langue à utiliser sur les planches afin de créer cette osmose entre le public et la scène. Cependant nous verrons qu’au fil de son œuvre, cette approche n’aura pas été l’unique point de vue du dramaturge. Toutes ses pièces supposent des présupposés et des sous-entendus au sein d’une communication non verbale mais totale entre celui qui joue et ceux qui regardent. Le deuxième volet sera dans le prolongement de cette quête éperdue d’une mémoire revigorée, joyeuse et festive. On la trouve dans les pièces du garagouz ou apparentées à cette approche. C’est une technique qui inscrit plusieurs pièces de théâtre dans le fusionnel, un spectacle qui entame le rituel par une invite générale à la fête globale. Un théâtre festif et qui implique les spectateurs : Diwan el garagouz où la relation scène-public est fusionnelle dès l’entrée en lice des comédiens, Demalatarik où l’Histoire est reprise avec un élan positif accompagné d’une volonté joviale, Koulwahed ou houkmou qui est une satire atemporelle et acerbe dispensée dans une atmosphère de dérision et un arrière-plan de critique. Le troisième volet est le plus important. Il constitue la partie visible d’un travail acharné et soutenu de formation, de recherche et de pratiques. Des pièces sont directement le produit des recherches du laboratoire que Kaki a toujours entretenu en parallèle. Cet espace innovant fait partie intégrante de la passion de Kaki pour la formation et la perfection depuis ses débuts à Saidia, puis lors de sa période au Trou. Kaki démontre la primauté du « jeu » sur le « texte », brise la barrière salle-scène, acteur-spectateur par une transe permanente. Ses expériences se rient de la sacralisation du chef d’œuvre, il préfère un dialectale scandé, un chir melhoun à une parole insipide. Dans Beni Kelboune ou Dem el Hob. Une pièce épurée mais qui brasse un problème sempiternel. Reliant le terroir aux théories modernistes, son théâtre dépasse le texte, c’est la matérialisation visuelle et plastique de la parole (comme le dit Antonin Artaud, le Théâtre et son double, Paris, Gallimard, 1964). Kaki se démenait pour un art total (lire Gordon Graig qui accorde une suprématie incontestable au metteur en scène). Un art né du mouvement et qui ne saurait être une littérature, où l’acteur doit exprimer et non s’exprimer, avec une relation forte entre théâtre et danse. L’osmose entre l’espace, le décor et le comédien sera un souci majeur de Kaki et le souci constant de sa formation de comédien. Ce qui fera sa force, son originalité et une explication de sa postérité. Kaki refusait le théâtre naturaliste qui limite le comédien par sa tentative de faire vrai, qui arrête l’imagination du spectateur par un décor fouillé et complet. Son théâtre est habité par des formes épurées, des gestes stylisés, une scène où un minimum de décor va convoquer un maximum d’imaginaire. On peut alors citer Avant théâtre, une trilogie qui se compose de « Le filet », « Le voyage » et « La cabane ». Ce cachet va être repris par l’ensemble du théâtre algérien à partir de 1965. Kaki, pétri d’oralité du terroir citadin de Mostaganem, va régurgiter les histoires de sa grand-mère, des meddahates, des poètes de chir melhoun, il va aboutir à une expression absolument originale. Il s’est soucié du public tout en essayant d’inculquer l’universalisme qui rattache le théâtre Algérien au théâtre mondial. Kaki était obsédé par la culture algérienne. Tellement convaincu qu’il envisageait d’adapter Antigone de Sophocle avec, dans l’un des principaux rôles, Cheikha Remitti, l’incontournable ancêtre de la chanson raï. Avec sa halqa où on a cru y déceler du Brecht conjugué au meddah traditionnel, avec son Garagouz, produit d’un terroir mâtiné de trace ottomane et avec ses applications de l’universalisme au terroir local, Henri Corderaux l’a très justement surnommé « le dramaturge de l’essentiel ».

À propos Mansour.Benchehida

Laisser une réponse

Votre adresse email ne sera pas publiéeLes champs requis sont surlignés *

*

x

Check Also

Art dramatique à Mostaganem. Mustapha Benchougrani, un compagnon de Kaki nous quitte

Natif des années quarante, Mustapha ...

Lycée Zerrouki. Les anciens soulignent le 60ème anniversaire de l’indépendance

Le Bureau de l’Association s’est ...

Art Dramatique : Colloque sur Ould Abderrahmane Kaki «Une manière de dire le théâtre algérien»

Le jeudi à 16h s’est ...

Sidi Ali Ksouri. Le maître de la source

Avant les inondations, SouiqaTahtania était ...

Cimetières de Mostaganem. Retour sur des sites riches en histoire

La mémoire collective locale situe ...