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Il était écrivain et historien. Abdelmadjid Merdaci n’est plus

Par Hocine Smaâli

L’écrivain et historien, Abdelmadjid Merdaci, est décédé, avant-hier soir à Constantine, a-t-on appris des membres de sa famille. Abdelmadjid Merdaci, docteur d’Etat en sociologie, est enseignant-chercheur à l’université des Frères Mentouri de Constantine et écrivain. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le Mouvement national algérien, la musique algérienne et l’histoire de la ville de Constantine.

Outre le «Dictionnaire des musiques et des musiciens de Constantine» éditions Simoun (2003), il a publié en 2008 «Constantine sur scènes- Contribution à l’histoire du théâtre Constantinois» éditions du TRC et «Tata, une femme dans la ville», essai biographique aux éditions du « Champ Libre». Il a aussi publié en 2005 un ouvrage dans la collection Beaux livres «Constantine ; citadelle des vertiges» aux éditions «Paris /Méditerranée» aujourd’hui épuisé en Algérie et en France.

Le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, le Premier ministre, Abdelaziz Djerad et de nombreuses personnalités nationales et internationales ont présenté leurs condoléances à la famille de défunt.
Des publications et entretiens de feu Merdaci, nous retenons celle relative à la rentrée scolaire de 1962, qu’il m’avait remis en 2018 en exclusivité, où il évoque les premiers balbutiements de l’école algérienne après l’indépendance. « En cet automne 1962, partagé entre les ultimes illuminations de l’été algérien et le début du frimas porteur de pluies, tout semblait devoir se passer comme en un temps très limité et il revenait aux pouvoirs publics de répondre à des attentes profondément ancrées dans la mémoire collective, réparer toutes les blessures et humiliations antérieures, donner sens, somme toute, à la portée du combat libérateur », relatera-t-il. Il s’est intéressé à l’éducation dont furent privées des générations d’Algériens ou alors parqués, au mieux dans « les écoles indigènes », en rappelant avec force détail que le bilan de l’éducation durant la période coloniale n’était pas du tout reluisant. « A la veille du début de la guerre, le bilan éducatif des indigènes algériens n’était guère brillant : neuf personnes sur dix, âgées de dix ans et plus étaient analphabètes et quatre enfants sur cinq n’étaient pas scolarisés », note-t-il, en rappelant les propos du démographe Kamel Kateb. En contrechamp des fastueuses cérémonies du centenaire de l’occupation de 1930, les chiffres de la scolarisation – 6% d’enfants musulmans scolarisés pour 61% d’enfants européens- paraissent suffisamment éloquents pour appeler le commentaire. La tension entre volonté d’acculturation par l’école et peur d’un irrédentisme algérien , le système scolaire colonial aura, en particulier, ostracisé la langue arabe et il est notable que le passage des résistances rurales armées, aux confrontations politiques urbaines, au cours de XXème siècle, se soit aussi traduit par celui du refus de la scolarité coloniale à une demande en croissance régulière de scolarisation de cinquante mille à sept cent cinquante mille enfants scolarisés la veille de l’indépendance. « Les acteurs politiques algériens qui avaient largement pris en compte les questions d’éducation et de culture, ne s’y trompèrent pas, ouvrirent, dans les années trente, des medersas – c’est le cas notamment de l’association des Oulémas, du PPA MTLD- qui incitèrent d’ailleurs l’administration coloniale à en faire de même », rappellera-t-il dans cette contribution qu’il intitula « inventer l’école de l’indépendance ». Pour Merdaci, l’école était un enjeu de la colonisation dont il fallait immédiatement effacer les stigmates après l’indépendance de l’Algérie.
Que l’école soit un enjeu politique majeur de la guerre d’indépendance nationale, allait se vérifier de manière spectaculaire avec l’appel de l’Union générale des étudiants musulmans algériens – UGEMA- à la grève des cours de mai 1956 ou, sur un autre registre, la prestation de services scolaires par les sections administratives – SAS- au nombre de sept cents durant la guerre. La promotion de la scolarisation des enfants musulmans figurera alors parmi les objectifs centraux du plan de Constantine, proposé par le général de Gaulle en octobre 1958 avec l’objectif déclaré d’une scolarisation totale en 1966. Au lendemain de l’indépendance, l’accès à l’école pouvait passer, de l’avis de Merdaci, « à tout le moins, pour la validation attendue de la souveraineté acquise sinon même des attributs de la citoyenneté ». S’il revenait au ministère de l’Education nationale d’organiser la rentrée scolaire de tous les risques, le constat est assez peu, fait qu’il n’en était pas le seul et même pour un temps le principal ordonnateur.
« On sait que la plus lourde hypothèque qui avait pesé sur la première rentrée scolaire de l’Algérie indépendante, tenait du départ massif des cadres et des enseignants européens – absolument majoritaires dans le système éducatif alors en place- et il fallait aussi répondre à des échéances directement affectées par l’état de guerre », dira-t-il de cette période. Merdaci rappellera aussi que l’université aura été l’un des soucis d’Abderahmane Benhamida qui multipliera les communiqués, assurant que la rentrée universitaire se déroulera normalement début novembre… ou encore des appels à l’image de celui de son intervention sur les ondes de la radio nationale. « Il n’y a aucune raison d’aller étudier à l’étranger puisque notre université nationale est là ». Au-delà de considérations politiques, les partenaires d’une transition inédite s’accordent sur la demande légitime de savoir et de culture des Algériens et dont l’invention d’une école algérienne devrait être le vecteur décisif. Pour affronter cette réalité, « dès septembre, sont mises en place des actions de formation accélérée d’enseignants un peu partout à travers le pays. L’école normale d‘instituteurs de Bouzaréah reçoit, à ce titre, un cycle de formation accélérée concernant cinq cents élèves – deux cent soixante jeunes filles, deux cent quarante jeunes hommes », écrit-il dans cette contribution en se réjouissant « de la reprise des enseignements, le 14 octobre 1962 et « où les premières indications plaident en faveur d’une rentrée presque ordinaire. L’un des aspects de la mise en place de cette rentrée scolaire historique procède des mécanismes de la solidarité internationale.
C’est ainsi que l’UNESCO annonce un don de soutien à la rentrée algérienne de deux cent mille dollars, destiné « à faire venir et rétribuer des enseignants du second degré » alors que l’université d’El Azhar garantissait la mise à la disposition de l’Algérie de trois mille enseignants et informait, à cet effet, de l’ouverture d’un bureau d’accueil pour les candidats.
« La récurrence de cette thématique – ignorance, obscurantisme- qui aura accompagné l’organisation de la première rentrée scolaire de l’indépendance n’est pas fortuite et connaît une première clarification avec l’initiative des responsables du premier cycle du ministère de l’Education portant sur la création d’une commission de lutte contre l’analphabétisme », écrivait-t-il aussi concernant cette période post indépendance de l’Algérie, en rappelant l’interrogation d’alors et sa problématique qui « n’était pas exclusivement éducative car, en effet, mais comment remettre une société violemment déstructurée et dépersonnalisée en marche, au travail ? ». Le taux d’analphabétisme – plus de 80% de la population – informe alors légitimement le procès de la colonisation et le personnel enseignant est invité à prendre sa part dans l’opération. Sur un autre registre, un autre stigmate de la guerre d’indépendance- l’incendie de la bibliothèque universitaire d’Alger par l’OAS- rajoute au climat de cette rentrée. En octobre 1962, relatait-t-il, « je retrouve la grande et la petite cour du lycée d’Aumale, ses classes, son réfectoire et son ambiance vieille France- qui porte désormais le nom du dramaturge et publiciste réformateur Redha Houhou, assassiné par les paras – et que j’avais quitté à la fin de la classe de cinquième en raison de la guerre qui s’intensifiait ».
« Notre professeur de Français était Mr Fassier, celui de Mathématique Mr Belhadj. Rien ne semble avoir changé et pourtant plus rien pour l’essentiel n’était pareil. Le lycée était devenu algérien, son administration et presque tous ses élèves aussi », me confia Abdelmadjid Merdaci, en répétant, à chaque fois que besoin est, «qu’un maximum d’Algériens puissent s’informer sur l’histoire ». Décidément, Abdelmadjid Merdaci demeurera l’un des grands historiens et chercheurs que l’Algérie vient de perdre.

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