Aborder la question de la décennie noire et pour ainsi dire de la violence islamiste, demeure un sujet délicat car il fait ressortir les impasses de l’intériorisation des images qu’on tente de figer dans la nasse de l’oubli. De fait, la décennie noire avec sa charge amnésique provoque des maux qui se tordent au creux des métastases du fanatisme religieux. De la folie meurtrière aux lèvres absentées, la résistance du refoulement ne pourra être que vacuité ou d’espoir décharné. En regardant le film, Abou Leila qui retrace la cavalcade de la violence de la décennie noire où le sang coulait à flot et se déversait dans la rivière de la jouissance mortifère, l’aspect filmique nous appelle à la rescousse pour dire que les tueries à quoi pouvait prétendre la barbarie islamiste favorisait en soi une gestation du sexe. Des scènes morbides voire tyranniques secouent le public, mais l’énergie de résistance ne peut que favoriser les coins des lèvres naufragées d’une mémoire souffreteuse d’un trauma se castrant dans le délirium de la concorde civile. La résolution de l’impasse du devoir de mémoire se cristallise dans l’indignation sélective, pour étayer mon point de vue, je dirai que le film d’horreur est l’apanage de beaucoup de cinéphile et la cohérence interne de la vie subjective se trouble et s’affole en maintenant sa décision à ne pas rompre les entraves imaginaires qui assujettissent le sujet parlant jusqu’aux injonctions de l’inhibition. L’ombre chimérique d’une paix sociale demeure continuellement aux aguets et s’évertue à séduire la passivité de l’œil en lui crachant «l’impuissancialisme» pour faire jouir «la servitude volontaire». La liberté d’émouvance s’arrête à la lisière de sa prison subjective, puisqu’on peut voir que dans la traversée du colonialisme, même si on dénonce la barbarie colonialiste, la séduction stratégique de la martyrologie dépeint la férocité des exactions et cultive une certaine fierté, autrement dit la sécurité narcissique refoule la virilité ambiante. Faire parler les mystères de la décennie noire, nous impose de nous interroger sur l’imaginaire social qui dépasse la réalité fictionnelle qui, à bien des égards, met en avant la philosophie par l’absurde pour paraphraser le philosophe Gille Deuleuze, je dirai «que le cinéma, dès le début, a été conçu comme un dispositif capable de provoquer la pensée, en vertu du mouvement automatique qui le caractérise. Le heurt créé dans le cerveau du spectateur prend la forme d’un «noochoc» (Deleuze) d’un impact cérébral qui, plutôt que déterminer une représentation sensible de la pensée, la met en mouvement en la forçant à surgir. En analysant le comportement du compagnon de l’acteur Lyes Salem, je rejoins la Psychanalyste Julia Kristeva pour dire qu’il n’agit pas de l’hallucination qui comble l’absent par des projections d’amour et de haine, projections qui constituent un délire transférentiel/contre-transférentiel. Et que Pierre a été le premier à analyser, avec cette lucidité rêveuse qui le caractérisait, avec ce phrasé fluide et allusif qui se laissait enliser dans l’insaisissable, voire dans l’obscur, pour mieux atteindre son «point de fuite», et nos résistances. Je le cite: «Un absent figure le pôle hallucinatoire négatif d’une parole qui espère tenir de lui la vérité sur le sexe, sur la naissance et sur la mort: l’absent est l’interlocuteur – l’analyste imaginaire – de cette parole qui se répond à elle-même et fait de soi le jouet de son destin»? Ce surgissement «de la politique du meurtre » n’est pas une simple affaire, puisqu’il plonge l’individu dans un lien social éventré par la tyrannie de la mortification sociale. En effet, ce climat « déricide » ne doit pas nous permettre de chercher des blessures fissurées qui lèchent les lèvres du déni ou pour le dire en terme psy, une scotomisation qui ne sera pas sans effet sur la dimension psychique. Nous pouvons dire que même si la butée sur l’intraitable peut être choquante, elle se révèle une chance qui permet de mettre des mots sur des maux. Le mur infranchissable des métastases du fanatisme religieux, nous permet à travers le film Abou Leila de décrypter l’érotisation du sacré, autrement dit le mur infranchissable de « l’ignorance sacrée. A titre d’exemple la vue du sang d’un mouton égorgé par son père pour l’Aïd l’a traumatisé, la fascination qu’on voue au sacrifice et à l’étalage de couteaux ou autres armes servant à égorger les moutons montre bien de façon mortifère, que la crise algérienne plonge dans une dimension sexuelle à défaut de viriliser l’animal. L’analyse judicieuse de Freud, sur la mort du père est heureusement là dans totem et tabou pour nous appeler à la rescousse. Lorsque dans une société, des rapports sociaux dominants poussent et imposent de rejeter sa condition d’être parlant, soutenu par le «manque à être», la conception «bouchère» et animalière de l’échange supplante toutes les autres modalités. De la mortification sociopolitique de la décennie noire, l’investissement conscient/ inconscient du conflit œdipien dans le film Abou Leila doit nous permettre de déceler que l’architectonie du symptôme subjectif est foncièrement différente de celle du symptôme somatique ou organique. Elle est la raison principale de sa persistance et de son insistance, lorsque la lecture qu’elle requiert et exige n’est pas au rendez-vous. Elle met ainsi en échec tous les savoirs qui prétendent détenir la vérité contenue dans et par le symptôme. « Il ne livre et délivre cette dernière que si le symptôme est soumis à une lecture déconstructive, à laquelle celui ou celle qui en souffre et qui s’en plaint, doit prendre toute sa part et sa responsabilité. Faute de cela, le symptôme risque fort de se chroniciser et de mettre en échec tous ceux et toutes celles qui prétendent le maîtriser». Le mérite de ce film est d’articuler de façon dialectique aliénation sociale et signifiante, ce qui nous permet de redonner une explication du complexe d’œdipe; de l’explication indigente de la psychologie qui tente de l’identifier à papa et maman, je dirai pour éclaircir la question de l’œdipe que Freud a utilisé, le mythe grec d’oedipe pour montrer que la structure subjective, celle qui renvoie au sujet et à l’inconscient, est présente partout du fait qu’elle est insaisissable immédiatement. Elle est liée à la question fondamentale de l’interdit qui la caractérise et qui, sans passer par un écrit comme la loi sociale (droit) détermine la vie de tous les êtres parlants et de chacun d’eux. Elle est active tout le temps et se trouve illustrée dans des mythes, comme dans les contes et les légendes de n’importe quelle société dite humaine, parce que soumise à l’ordre symbolique. «L’ordre symbolique signe la fin du réalisme objectif» de type animalier et met tous les êtres parlants devant la nécessité de passer par des médiations et des métaphores pour expliciter ce qu’ils veulent exprimer. Et malgré toutes les médiations et les biais utilisés, il n’y a aucune garantie sur la suppression des malentendus. Enfin, les vertus filmiques permettent d’amorcer une réelle logique de subjectivation pour libérer le sujet parlant de l’aliénation qui l’assujettit à la flânerie psychique.
